En 24h, la vie de Gloria bascule. Sa meilleure amie Rita raconte comment elle va tout envoyer valser. Une pièce comme un road-movie où la découverte de soi est si vertigineuse qu’elle rend tout retour en arrière impossible. Rita et Gloria, incandescentes autant qu’attachantes, nous entraînent dans leur bouleversement réjouissant et libérateur.
Découvrez le cahier que La Récolte a consacré à cette pièce en 2021, avec des extraits de la pièce, un entretien de l’auteur avec Marie Cléren & Claire Rouet, un article de l’universitaire Claire Lechevalier
et les illustrations de Galla Naccache-Gauthier.
La Pièce
Présentation
Gloria est une femme.
Rita est sa meilleure amie.
José est son mec.
Paule est sa patronne.
Marine Le Pen est une personnalité politique fasciste d’extrême-droite.
Serveuse est un métier.
Quidam est un homme inconnu.
Conducteur est une fonction.
Extrait de la pièce
[…]
Rita. – C’est là, là, tout de suite, tout à l’heure.
silence
C’est la journée d’hier. C’est maintenant.
C’est hier.
Aujourd’hui c’est hier. D’hier silence que je parle.
Aujourd’hui c’est d’hier que je parle.
silence
T’es rentrée chez moi comme une tempête, t’avais l’air complètement tarée, complètement, complètement tarée, d’un coup tu débarques, tu frappes à la porte, j’ouvre, toi tu transpires comme une dingue, c’est un truc de malade ton maquillage coule de partout tu fais peur à voir, c’est marrant on dirait que t’as mis les doigts dans la prise ou quelque chose, t’es rouge tomate, des poils ont repoussé sur tout ton visage, j’ai cru que tu pleurais mais je crois que j’ai eu une hallu ou je sais pas parce que normalement tu pleures jamais, jamais, jamais, tu pleures jamais, alors là je te prends dans mes bras et tu me demandes si tu peux dormir à la maison alors évidemment je dis oui, bien sûr que tu peux dormir à la maison ça va pas, bien sûr que tu peux dormir là, bien sûr, donc tu rentres chez moi, tu poses tes affaires et là tu prends une douche et ensuite on fait un gros gâteau au chocolat méga fondant qu’on bouffe comme des cochonnes devant la télé toutes les deux, on rajoute trois tonnes de chantilly et puis, bon, je sais pas on dit pas grand-chose, on suit ce qui se passe à la télé et là tu silence non rien, rien, rien rien, rien silence bon ma Gloria je vais pas tourner autour du pot pendant trente ans en fait, je veux juste comprendre, en fait je sais pas je veux juste comprendre comment ça se passe en fait, comment tu marches en fait, je sais pas, je vais peut-être jamais comprendre, peut-être c’est vrai, mais bon j’aimerais bien je sais pas comme ça si à la fin je comprends toujours pas je lâche l’affaire, je sais pas, j’irai me promener, je boirai un coup, je sais pas, j’irai faire les courses, je penserai à autre chose, je sais pas, je vais peut-être me planter dans mon truc là, mais là maintenant j’ai envie de retracer le parcours pour trouver le truc que je comprends pas en fait, le fil que j’ai perdu, je sais pas, à chaque fois que je perds un truc tu me dis de retracer le parcours, et du coup là je vois pas quoi faire d’autre, je sais pas, une prière à saint Antoine, je vois pas, enfin, bon, non je sais pas, je sais plus, je t’avoue que je suis paumée là, enfin je sais pas en fait, je sais pas, c’est simple Gloria, je veux juste comprendre comment tu marches en fait, comment tu fonctionnes en fait, parce que je croyais que je savais, et silence je sais pas, enfin je veux juste comprendre, c’est tout, c’est pas grand-chose, je veux juste savoir si j’ai rêvé silence ou si c’était vrai, parce que bon peut-être que j’ai fumé en fait, peut-être que j’ai – silence putain j’ai l’impression que tout est faux, silence tout est complètement faux, silence que cette journée est un cauchemar, ou un rêve, oui, je crois que c’est – c’est – un rêve, un rêve silence hyperréaliste, oui, un rêve silence c’est ça, un rêve silence enfin j’en sais rien, je sais pas –
long silence
Gloria ?
long silence
Bon…
silence
J’y vais alors.
C’est parti.
Je vais être précise et puis voilà.
silence
J’ai qu’à être précise et puis c’est tout.
long silence
Bon…
silence
Allez.
[…]
Rita. – Ta journée, Gloria, c’est d’abord, chaque jour, un matin de long silence.
L’horloge tourne.
5h30 du matin.
Les choses se passent dans le même ordre que tous les jours, dans le même sens que tous les jours et dans le même silence que tous les jours.
Il y a ce long silence.
long silence
Et soudain, le réveil sonne.
RFM.
José n’entend rien.
Sommeil lourd, il dit tout le temps.
Sommeil lourd.
Ta morning routine commence comme ça.
5h31.
Tu ouvres les yeux.
Tu plies la nuque, lèves la tête, écoutes.
Tu te mets assise.
Courbatures.
Regard vers José qui dort.
Tu écoutes la chanson qui passe à la radio jusqu’à la fin.
L’AMOUR TE PORTE DANS TES EFFORTS 1.
Balavoine.
5h35.
Fin de la chanson.
Tu tends le bras droit, éteins le radio-réveil, gardes le bras tendu, attrapes tabac, feuilles, filtres sur la table de nuit.
Tu t’en roules une.
Tu te la grilles.
Soupir de soulagement.
Tu fredonnes.
AIMER EST PLUS FORT QUE D’ÊTRE AIMÉE.
[…]
1 Daniel Balavoine, « Aimer est plus fort que d’être aimé », Sauver l’amour (1985).
L’auteur
Marcos Caramés-Blanco
Né en 1995, Marcos Caramés-Blanco est écrivain dramaturge. Diplômé de l’ENSATT, il est notamment l’auteur de Gloria Gloria (Éditions Théâtrales, 2023), Trigger Warning, Ce qui m’a pris, À sec, Bouche cousue et Alann. En 2022, il est lauréat de la bourse de résidence Jacques Toja à La Colline – théâtre national, avec Lucas Faulong, acteur. Ses textes sont mis en scène par Maëlle Dequiedt, Sarah Delaby-Rochette, Rémy Barché, Isis Fahmy ou encore Jonathan Mallard. En 2022-2023, Marcos Caramés-Blanco est auteur associé à L’Arc – scène nationale du Creusot.
Entretien avec Marcos Caramés-Blanco, par Marie Cléren & Claire Rouet
Comment est né le personnage de Gloria ?
J’ai écrit ce texte lors de ma première année dans le département d’écriture de l’ENSATT, à l’occasion d’une commande autour des violences politiques. À ce moment-là, j’avais envie d’écrire à partir d’un personnage central, principal, autour d’une esthétique comportementaliste, proche du quotidien, afin d’explorer comment la violence politique peut s’immiscer dans le parcours sensible d’un individu. Je m’intéressais au carcan et à la sortie de route.
C’est alors que Gloria est née. D’abord d’un manque, et donc d’un désir. D’une part, le désir de voir un personnage en action, dans tout ce que cette notion a d’artificiel, de maquillé, de construit. D’autre part et avant tout, le désir de représenter l’existence mouvante et contradictoire d’une personnalité à la marge, télescopant des souvenirs de mon enfance en France comme en Espagne et des références diverses venues de la culture populaire et savante. Avec ce personnage, j’avais envie de rendre un hommage à mes appartenances sociales, de venir questionner et déployer les figures de femmes avec lesquelles j’ai grandi, et que j’ai peu eu l’occasion de voir représentées dans mon parcours de lecteur et spectateur. J’ai essayé de convoquer cela sans me limiter à une approche sociologique, mais en recherchant la complexité d’une tentative proprement fictionnelle laissant toute sa place à l’excès, au corps, au désir, au feu, à tout ce qui peut faire émerger la singularité d’un personnage dont la liberté déborde, y compris le comique. On entre ainsi du matin jusqu’à la nuit pour 24 heures dans la vie de Gloria, dont personne ne se méfie, et qui finit par tout détruire sur son passage, dont les mains viennent s’armer de violence presque malgré elles.
Finalement, je pourrais dire plus simplement que le personnage de Gloria est né d’un mélange de tout plein de choses que j’aime et qui m’ont construit, et puis de ce que j’avais envie de voir sur scène.
Dans cet univers empreint de pop culture, Gloria dégage une force extraordinaire notamment parce qu’elle est authentique. On y croit et en même temps elle transcende la réalité et devient une héroïne. Selon toi, de quelle héroïne avons-nous besoin en 2021 sur les scènes de théâtre ?
Je ne sais pas si Gloria est une héroïne, du moins dans ce qu’on entend classiquement par héros, portant en lui cette idée d’exemplarité qui n’est pas à l’œuvre dans son parcours. Si c’est au sens du personnage central, qui prend toute la place du récit épique, qu’on a envie de suivre, alors oui, Gloria en est une. Du moins, j’espère ! Ou alors, une anti-héroïne ? Dans tous les cas, comme son nom l’indique, j’avais envie d’insuffler quelque chose de glorieux à son personnage, de créer une figure qui pourrait être un peu iconique, à partir d’une réalité sociale qui n’est pas toujours vouée à une telle mythologisation. Qu’elle soit fascinante, un peu… Et que son nom soit répété, scandé, redit, signé de sa main… Avec cette histoire racontée le lendemain des faits, comme pour qu’on ne l’oublie pas après son tour de piste un peu spectaculaire.
Je ne sais pas non plus de quelle héroïne nous avons besoin en 2021. Je pense qu’il nous en faut par milliers, une multitude d’héroïnes et d’anti-héroïnes, des héroïnes qui ne soient pas parfaites, des modèles et des anti-modèles, des personnalités en puissance que nous n’avons jamais vues ou déjà vues mille fois, des stéréotypes qui se détournent, dans des fictions qui viennent troubler un peu, justement, ce qu’on attend d’une héroïne.
Quelles héroïnes (romanesques, théâtrales, cinématographiques, etc.) ont marqué ton parcours ?
Il y en a plein ! Il n’y a même que ça ! Des idoles queer, des popstars, des Divines, des freaks, des drags, des personnes qui n’entrent pas dans le moule social et s’inventent leur propre façon d’apparaître au monde. Pour Gloria Gloria, au tout départ, j’avais le fantasme de réunir ma passion pour Pedro Almodóvar et ma passion pour Chantal Akerman, avec un personnage qui aurait été entre Jeanne Dielman et Agrado dans Tout sur ma mère. Et puis il y a Les Bonnes de Genet, présentes en sous-bassement du texte, la Yvonne de Gombrowicz, les héroïnes de Despentes ou de John Waters, ou encore Bella, l’anti-héroïne du Dirty Weekend d’Helen Zahavi, mais aussi celles des séries que je regarde, et puis la Gloria de Cassavetes, mais surtout celle de Patti Smith… La Vierge Marie aussi…!
Gloria, c’est une femme de milieu populaire qui, par lassitude d’être traitée comme une moins que rien, tue sa patronne et son compagnon. Quel regard portes-tu sur la condition des femmes des classes populaires ? Les humiliations constantes et répétitives rendent-elles le meurtre inévitable ?
Je ne sais pas si je porte un regard sur la condition des femmes des classes populaires, si ce n’est celui du constat que c’est une vie à l’intersection de deux oppressions systémiques majeures, et que le fait d’être violentable est constitutif de ces identités. Et donc nécessairement dans la pièce, cette condition sociale n’est pas qu’une idée, mais agit le personnage, s’inscrit dans son corps. La violence se rend visible. Mais je ne suis pas sociologue, et je ne pense pas que la pièce soit là pour nous apprendre quelque chose ou nous délivrer un discours autour de la difficulté du métier de femme de ménage par exemple, ou celle d’une vie sans argent, qui vont sûrement sans dire – en tout cas je l’espère. Et puis ce n’est pas tant un regard, avec distance, qu’une recherche autour de situations que j’ai connues ou rencontrées, et d’envies de fiction.
Dans la pièce, je dirais que Gloria expérimente moins de la lassitude que de l’anesthésie, voire même de l’habitude. C’est sa vie, son quotidien, qui elle est, et il n’y a pas le temps pour cette distance autoréflexive. Les choses lui passent au-dessus. Ce qui rend le meurtre inévitable se situe plus du côté purement concret de cette mécanique de mouvement constant, dans cette partition de gestes que j’essaie d’élaborer, minutieuse, dans laquelle le temps manque tout le temps, pour servir et prendre soin des autres. La violence est déjà là, dans cette routine imparable, avant même de se situer dans les comportements de ceux/celles qui la dominent, qui ne sont pas non plus de grands méchants. Et puis un jour, le disque ne peut plus continuer de tourner en boucle du début à la fin, alors la machine s’enraie. Et comme on est au théâtre, ça passe par le meurtre, par le déchaînement de fureur, rituel, vital, érotique, par des choses très grandes, qui la dépassent. Pour peut-être faire émerger l’idée, ou le semblant, d’une réappropriation de soi après la catastrophe.
[…]
Écoutez Marcos Caramés-Blanco
Enregistré à La Chartreuse de Villeneuve lez Avignon le 8 juillet 2021
Entretien mené par Marjolaine Baronie
Prise de son, mixage et réalisation : Simon Paris
Direction artistique : Elise Blaché
Production : La Récolte, 2021
Découvrez l’intégralité du cahier
Marcos Caramés-Blanco
Extraits de Gloria Gloria, de Marcos Caramés-Blanco
Entretien avec Marcos Caramés-Blanco, par Marie Cléren & Claire Rouet
Dé-chaînement, par Claire Lechevalier
Show me a way to get my life again, illustrations de Galla Naccache-Gauthier
Gloria Gloria est publié aux éditions théâtrales (2023).