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Avec ce voyage initiatique d’un petit garçon confronté à ses peurs et au monde qui change, Olivier Sylvestre nous offre une fable écologique pour tous publics.

Découvrez le cahier que La Récolte lui a consacré en 2021, avec des extraits de la pièce, un entretien, le point de vue agroforestier de Romain Léger et les illustrations de Frédéric Sasseville-Painchaud.

Marcel rassemble tout ce qui lui reste de forces
pis toutes ces énergies de vieux sorcier
rentrent dans le tuyau de sa machine
dans les murs de la maison
passent par les fils électriques
jusqu’au transformateur
jusqu’au champ des pylônes
jusque dans le nouveau développement
ça crée un court-circuit

Dans la forêt disparue, Olivier Sylvestre

La Pièce

Présentation

Oli. – il a peur de tout
Val. – elle n’a peur de rien *
Marcel. – il n’a plus peur que d’une seule chose

* Val doit être interprétée par une comédienne noire.

Une maison.
Une entrée de garage.
Une chaîne de trottoir.
Un parc.
Une forêt.
Un ravin.
Des bulldozeurs.
Des maisons de ville.

Un quartier qui change en même temps que les enfants.


Extraits de la pièce

Prologue

Marcel. – Ça commence ce jour-là
cette histoire-là
le jour où grand-papa Marcel
emménage chez sa fille
(la mère du p’tit Oli)
parce que ç’a l’air
ç’a l’air
qu’il est rendu trop vieux astheure
pour s’occuper tu-seul de lui-même…

géritole

l’affaire avec grand-papa Marcel
c’est que c’est un vieux sorcier qui possède…
une machine à oxygène
(c’est le docteur qui l’avait obligé)
un sorcier qui a le souffle trop court
fait que ça lui prend une machine
pour pousser l’oxygène jusque dans ses poumons
pis pouvoir respirer comme tout le monde…

mais grâce à sa fameuse machine
grand-papa Marcel a le pouvoir
d’entendre
des sons

là vous vous demandez sûrement
mais quel genre de sons grand-père ?
Bah
toutes sortes de sons
un enfant qui se blesse au parc
une voisine qui change le poste de sa tévé
un arbre qui se meurt
toutes sortes d’affaires de même
impossibles à entendre de sa chaise berçante
qui rentrent par son tuyau transparent
dans son nez
jusque dans sa tête
comme si grand-papa était connecté
avec toute toute toute ce qui bouge autour
(la première fois grand-papa avait fait le saut
pas à peu près…)

mais bon
le héros de cette histoire-là c’est pas Marcel
c’est le p’tit Oli
son p’tit Oli parti jouer dehors avec son bécyk
que grand-papa entend – comme le reste
par le tuyau de sa machine
en cette fameuse journée qui a tout changé…

fait que là
grand-papa Marcel se dit
coudonc
je suis ben placé pour vous la raconter hein
cette histoire-là.

Avant

Oli. – Entrée de garage
chaîne de trottoir
embarque sur mon bécyk
première bouche d’égout
deuxième bouche d’égout
craque dans l’asphalte
maison de madame Lacasse
maison de madame Ben Amar
haie de cèdres
clôture
arrive au coin de la rue
descends de mon bécyk
observe le parc de Bucarest
le terrain de jeux

et surtout
la forêt
là-bas
au loin

rembarque sur mon bécyk
revire de bord
clôture
haie de cèdres
maison de madame Ben Amar
maison de madame Lacasse
craque dans l’asphalte
deuxième bouche d’égout
première bouche d’égout
débarque de mon bécyk
chaîne de trottoir
entrée de garage


entrée de garage
chaîne de trottoir
embarque sur mon bécyk
première bouche d’égout
deuxième bouche d’égout t
craque dans l’asphalte
maison de madame Lacasse
maison de madame Ben Amar
haie de cèdres
clôture
arrive au coin de la rue /
Val. – salut

Oli. – une fille
Val. – je m’appelle Valérie mais c’est correct tu peux m’appeler Val
toi ?
Oli. – je m’appelle Oli… pis tu peux m’appeler Oli

[…]

L’auteur

Olivier Sylvestre

Auteur et traducteur québécois, Olivier Sylvestre détient notamment un baccalauréat en criminologie. Chez Hamac, il a fait paraître Noms fictifs, Le Désert, et deux pièces : La Loi de la gravité (traduite en anglais et en allemand, distinguée par de nombreux prix) et Guide d’éducation sexuelle pour le nouveau millénaire (finaliste du prix Michel-Tremblay 2020). Ses pièces Dans la forêt disparue et Les Sentinelles ont reçu l’Aide à la création d’Artcena. Ses textes sont montés au Canada et en Europe.


Du merveilleux chez Olivier Sylvestre
Entretien avec Dominique Paquet

Olivier Sylvestre, dans cette pièce dont la dramaturgie est construite comme une quête initiatique, le merveilleux a une grande part. Est-ce que tu y penses avant de commencer à écrire ? En d’autres termes, est-ce une catégorie littéraire importante pour toi qui écris pour la jeunesse ?
Oui, absolument. Avec Dans la forêt disparue, j’ai atteint un certain degré de merveilleux que je n’avais pas atteint auparavant. Dans mes autres pièces, il y avait des éléments de fantastique, de surréalisme considérés comme acquis par les personnages, même si ce n’est pas possible. Dans La Loi de la gravité, les oiseaux se mettent à applaudir, la rivière déborde et devient la mer. Il y a toujours pour moi des choses qui ne sont pas possibles dans la vraie vie, mais qui le deviennent par le moyen du théâtre. Ce que les personnages disent et racontent dans cette pièce, particulièrement le grand-père, devient réalité pour les enfants, et pour nous aussi. C’est la force du théâtre, de la langue théâtrale. La spécificité même du théâtre réside dans le fait que ce qui est dit se matérialise, devient concret ; j’adore provoquer la naissance de cette réalité par la parole. C’est l’un des mécanismes que j’utilise le plus dans mon écriture et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’écris pour les enfants et pour les ados. Je pense que cette composante de merveilleux et d’imaginaire est plus accessible pour eux. Mais les adultes en ont aussi besoin ! Donc, c’est une vraie question, parce qu’après avoir écrit au moins cinq ou six pièces pour enfants et pour ados, on dirait que je ne sais pas comment écrire des choses dites « pour adultes ». Ça me questionne, ça m’intéresse, ça fait partie de mon écriture. Donc, oui, le merveilleux m’habite complètement.
Un procédé que je trouve vraiment intéressant, c’est de rendre les objets vivants, mais vraiment vivants, et de considérer les animaux comme des personnages, qu’ils nous parlent, qu’ils puissent interagir avec les humains. Dans La Loi de la gravité par exemple, même si on est plutôt dans un registre réaliste, le pont paraît vivant, les oiseaux interagissent avec les humains ; les grandes lettres qui annoncent la Ville, même l’hiver, sont des entités qui deviennent parfois alliées, parfois adversaires de mes personnages qui sont, eux, en chair et en os. C’est ce que j’aime : l’irruption d’éléments de surnaturel que les personnages ne questionnent pas, qui agissent sur eux, et qui deviennent comme des métaphores de leur quête.

Est-ce chez toi une pensée animiste ? Dans les fables, la personnification des animaux est fréquente. Dans la prosopopée, les objets, les morts, les fantômes parlent. Penses-tu que ce procédé est toujours d’actualité dans une société où le réel ne cesse de cogner ?
Oui, le réel cogne et nous ramène si fort au quotidien, au réalisme. Je pense qu’on a plus que jamais besoin de ces exutoires, besoin de s’adresser à l’imaginaire, de titiller, d’attiser l’imaginaire des gens de cette manière-là. Mais oui, dans les contes, dans les fables, c’est hyper présent. Pour moi, c’est l’une des forces du théâtre de rendre vivantes ces fables-là, de raconter des contes et de nous embarquer dans des histoires comme ça, qui nous sortent de notre quotidien, qui nous permettent de nous évader.

Certains critiques disent : « Encore du merveilleux pour les enfants ! », comme si le merveilleux était obsolète. Pourtant, n’apparaît-il pas tout le temps dans la vie quotidienne, comme le soutenaient les surréalistes ? Est-ce que tu vis avec, toi-même ?
Je ne sais pas si je vis avec… mais dans mon écriture, clairement oui ! Je suis en train d’écrire sur mon expérience en Guyane, il y a quelques années. J’ai passé trois mois là-bas avec une équipe de création. Il faisait tellement chaud. Un jour, je suis entré dans un local où il y avait des ventilateurs un peu partout qui tournaient et, comme j’étais le seul à être en nage, tout le monde s’est tourné vers moi pour me regarder… y compris les ventilateurs ! Je trouve que ce procédé-là – faire vivre les objets – devient vraiment drôle et intéressant. Ça nous permet de décoller du réalisme et de la réalité. C’est un peu ma philosophie, au sens où pour moi l’écriture est vraiment une manière de transcender le réel et aussi une manière de, peut-être, réenchanter le monde. Nous sommes tellement coupés de nos racines, de la nature, surtout quand on vit en ville. Il y a peut-être pour moi un besoin de se reconnecter avec des forces qui sont plus grandes que nous, pas dans un sens religieux, plutôt dans un sens magique ou poétique.

[…]

illustration de Frédéric Sasseville-Painchaud
illustration de Frédéric Sasseville-Painchaud

Découvrez l’intégralité du cahier
Olivier Sylvestre

Extraits de Dans la forêt disparue, d’Olivier Sylvestre
Du merveilleux chez Olivier Sylvestre, entretien avec Dominique Paquet
Une seconde nature ?, par Romain Léger
Illustrations de Frédéric Sasseville-Painchaud