La Pièce
Extrait de la pièce
Harry. – Toujours le mot griffonné à la craie sur la porte.
Riggall. – Courrier toujours pas ouvert comme l’autre fois.
Harry. – Deux grosses journées à cheval et la ferme toujours pareille, comme l’autre fois.
Riggall. – « Serai là ce soir »
Harry. – Ça qu’y a écrit.
Riggall. – Pareil que l’autre fois ?
Harry. – Pareil que l’autre fois.
Riggall. – Donc t’apportes le courrier…?
Harry. – Comme tous les mois.
Riggall. – Et pas trace de lui juste le mot sur la porte ?
Harry. – « Serai là ce soir »
Riggall. – Griffonné à la craie sur la porte.
Harry. – Je me fais à manger, je me couche. Le matin venu aucune trace de lui. Je me pose pas de questions. Jusqu’à ce que je revienne et le mot toujours là.
Riggall. – Un mois de passé et toujours comme ça ?
Harry. – Un mois et deux jours de passés et on en est là.
Riggall. – Bizarre.
Harry. – Bizarre, oui.
Riggall. – Harry ?
Harry. – Il devrait être là nom de Dieu.
Riggall. – Ça va ?
Harry. – Où est Jim Barclay, ça que je me demande.
Riggall. – On dirait que t’as vu un fantôme.
Harry. – Pas vu de fantôme, et ni de bonhomme. Et ça me plaît pas.
Riggall. – Alors il est parti où tu crois ?
Harry. – Pour ça que t’es là. Ajouter un peu de cervelle à la besogne.
Riggall. – Une chance qu’on s’est croisés alors.
Harry. – J’allais à Mansfield pour signaler la chose.
Riggall. – Et tu traçais, je vois pourquoi maintenant.
Harry. – M’aider à comprendre ce qui se passe. Deux cerveaux valent mieux qu’un.
Riggall. – Parti rassembler les troupeaux ?
Harry. – Un peu tôt pour ça, non ?
Riggall. – Peut-être oublié d’effacer le mot, peut-être ça ?
Harry. – Porte d’entrée, difficile de le louper.
Riggall. – Parti en ville ?
Harry. – Pour quoi faire, il venait de rentrer.
Riggall. – Peut-être oublié quelque chose la dernière fois ?
Harry. – Un trajet comme ça ?
Riggall. – Un truc important qui lui manquait ?
Harry. – Deux jours à cheval comme ça ?
Riggall. – L’orge a été coupée.
Harry. – Attend là comme ça depuis au moins un mois.
Riggall. – On aurait dû la rentrer depuis le temps, non ?
Harry. – Bien ce que je dis.
Riggall. – C’est pas normal, si ?
Harry. – Non.
Riggall. – Et tu dis qu’à part ça tout est comme il faut ?
Harry. – Tout a l’air d’aller, sauf qu’y a pas de Jim dans la place.
Riggall. – Et là tout est tout pareil que la dernière fois ?
Harry. – Mais là ça fait un mois, pas une nuit.
Riggall. – Rien d’autre qu’a l’air bizarre ?
Harry. – Tout a l’air bien, sauf qu’y pas de Jim.
Riggall. – Alors c’est qu’y a quelque chose.
Harry. – Y a quelque chose.
[…]
L’auteur
Angus Cerini
Angus Cerini, australien, est auteur de théâtre et performeur. Il étudie la danse classique puis les arts à l’université. Il dirige la compagnie Doubletap.
Ses pièces sont montées sur les plus grandes scènes australiennes et sont récompensées à plusieurs reprises. Son théâtre évoque souvent les comportements violents des hommes. Il cherche une langue à la fois vernaculaire
et poétique, spécifiquement destinée aux corps sur scène, où la matière des mots compterait autant que leur signification.
© Joey Rochford
Entretien avec Angus Cerini, par Sylvie Jobert & Stéphane Czopek
Vous êtes l’un des auteurs australiens récemment traduits en français. Pouvez-vous nous parler de votre parcours, de ce qui vous a amené vers l’écriture dramatique ?
Étant le dernier de quatre enfants, on me traînait partout où allaient les autres. Notre père voulait que nous fassions du sport – en particulier du hockey. Mais ça n’a pas vraiment marché. Alors que notre mère nous emmenait au concert et au musée. Et puis ma sœur aînée a commencé la danse classique, et on s’est tous les quatre retrouvés à faire pareil. Donc, de six à seize ans, j’ai fait de la danse. Je suppose que le fait d’avoir été sur scène dès ce jeune âge m’a donné un amour durable pour la scène. Mais à l’adolescence, j’ai arrêté la danse et, après quelques années à baguenauder, j’ai fini par étudier les arts plastiques à l’université. Mon projet était d’être peintre. Mais en cours de route, j’ai commencé à jouer dans des spectacles de théâtre et, du coup, j’ai joyeusement décidé que je serais plutôt acteur. J’ai donc commencé à écrire des petits spectacles que je jouais en espérant que cela me ferait une carte de visite. Mais ça ne s’est pas vraiment passé comme ça.
Donc aujourd’hui, je ne suis pas danseur, je ne suis pas peintre et je ne suis que parfois acteur. Mais je suis généralement auteur. La vie est étrange, comme les choses se passent.
Vous avez choisi de partir d’un fait divers. Pouvez-vous nous en parler ?
Le double meurtre non résolu de Wonnangatta a eu lieu en 1918. Ce fait divers continue de hanter la région, et cela perdure d’autant plus qu’au cours du siècle, d’autres personnes ont également disparu dans cette région.
La vallée de Wonnangatta est située au cœur des Alpes australiennes – au sud-est du continent. Aujourd’hui encore, c’est l’un des endroits les plus inaccessibles d’Australie. Le climat peut être extrême et très changeant.
Il y a eu de nombreuses théories sur l’auteur des meurtres de Jim Barclay et John Bamford en 1918. Le premier corps a été découvert enterré sur la berge d’une rivière peu profonde, le visage défiguré (probablement par les chiens sauvages). Le deuxième corps a été retrouvé enseveli à la hâte et partiellement brûlé, une balle dans la tête, à une journée à cheval du premier, devant une cabane de gardien de troupeau.
Partir d’un fait divers a-t-il changé quelque chose dans votre façon d’aborder l’écriture de la pièce ? Vous êtes-vous senti une responsabilité particulière par rapport à une pièce dont l’inspiration serait entièrement fictionnelle ?
Oui, je me sentais une responsabilité. Plusieurs des familles concernées par cette histoire habitent encore la région. Il y a encore des suspicions et des loyautés qui s’imposent. Il y a aussi, bien sûr, le simple respect dû aux morts. Et l’espoir de ne pas être comme un vautour exploitant leurs malheurs.
Du point de vue de l’écriture, la question était de trouver comment raconter une histoire convaincante – avec un début, un milieu et une fin. Que ce soit satisfaisant pour le public. Mais en laissant les meurtres non résolus. Le mystère reste entier aujourd’hui, il ne peut donc pas en être autrement pour le public.
Alors si nous ne sommes pas là pour tenter de résoudre l’énigme, pourquoi pourrions-nous être là ?
L’expression des mécanismes de la violence chez les individus, à l’œuvre déjà dans L’Arbre à sang, est-elle votre principale source d’inspiration ?
Ce n’est pas ma source d’inspiration, mais c’est peut-être bien un prisme. La violence que nous avons en nous, celle dont nous sommes témoins ou celle que nous pourrions percevoir. Ces aptitudes ou ces rêves que nous avons en nous sont fascinants. Regardez comme les médias attirent notre regard sur la violence. Et comme nos plus grands moments, en tant qu’espèce, sont des moments de violence. Les guerres. Les pirates. Le cancer est une violence. La condition humaine est un combat.
[…]
Découvrez l’intégralité du cahier
Angus cerini
Extraits de Wonnangatta, d’Angus Cerini (traduit de l’anglais par Dominique Hollier)
Entretien avec Angus Cerini, par Sylvie Jobert & Stéphane Czopek
Entretien avec Dominique Hollier, par Bernard Garnier
Figurations anonymes, photographies argentiques de Clément Mitéran