La Pièce
Extrait de la pièce
Une grande salle de conférence dans la pénombre.
Charles. – On va commencer… Je vais demander à Jean de bien vouloir me rejoindre…
Marie… Voilà.
Chantal, bien sûr. Viens nous voir… Ne te cache pas, je te vois.
Sam et Raimi ?
Silence.
Sam ? Raimi ?
Silence.
Jean ? Ils font quoi ?
Jean. – Ils ont oublié la réunion…
Charles. – Du coup, on fait quoi ?
Jean s’avance.
Jean. – Si on est les seuls à avoir survécu, c’est pas un hasard, c’est le destin. On est comme une grande famille maintenant. Parce que j’en entends plein qui disent : « Oui… lui, il paraît qu’il s’est fait bouffer. » Ou… « Si on est les seuls survivants, autant se laisser crever… »
Ou…
Charles. – Qu’est-ce que tu fais ?
Jean. – Ce que je veux dire, c’est qu’il faut pas se laisser aller. Faut rester positif. C’est pas la fin du monde… Enfin si mais ce que je veux dire, c’est que…
Charles. – Jean…
Jean. – Moi, par exemple, je suis de bonne composition, serviable, bricoleur et tout… Eh ben je me laisse pas aller. Et je suis toujours
prêt à filer la main si y a besoin. Parce que l’important, c’est qu’on soit tous ensemble. Nous, tous, ensemble, ici. Et vous verrez, à chaque jour qui passe, que si on bosse tous ensemble, on va se rendre la vie plus facile…
Charles. – Merci, merci, merci…
Jean. – C’était juste pour introduire en attendant les autres…
Charles. – On va commencer sans eux…
(À l’assemblée.) Je tenais tout d’abord à vous remercier d’être tous venus.
Beaucoup d’entre vous ont dû venir s’abriter ici dans l’urgence. Mais maintenant que chacun a pu s’installer, prendre ses marques, découvrir un peu la zone, il est temps pour nous de faire un petit point d’étape, d’aborder le volet organisation collective et de mieux cerner la manière dont on répartit les tâches…
Marie. – On doit savoir qui fait quoi…
Jean. – Moi, j’ai monté les barricades !
Charles. – Oui…
Jean. – J’ai monté le mur au nord qui va de l’immeuble jaune jusqu’à la petite maison avec les volets rouges. À l’est, j’ai fait une sorte de
cloison avec de la récup qui va de la station-service jusqu’au coin maraîchage et puis à l’ouest, c’est le…
Charles. – Oui, oui… Merci, Jean.
Jean. – Non mais je précise, vu que j’ai fait ça tout seul. Comme ça, tout le monde a une vue d’ensemble du…
Charles. – L’important, c’est que ce soit fait, non ?
Jean. – Ah oui ! C’était juste pour dire… Après, ça me dérange pas, j’adore bricoler…
Charles. – Enfin, ce qu’on voulait vous dire, c’est que maintenant qu’on a paré au plus urgent, il nous a semblé important que nous
nous réunissions tous pour faire un petit point sur l’organisation.
Depuis le début de cette… crise, nous sommes plusieurs à nous être réunis en comité pour organiser un peu les choses…
Chantal. – Alors, le terme « comité » n’est pas une nomenclature définitive.
Jean. – « Comité », ça fait un peu conseil syndical ou réunion de délégués…
Chantal. – Oui. Et on est complètement ouverts à un changement de nom si ça vous plaît pas…
Charles. – Oui… Alors… Ce « comité » et moi-même, avons pris en toute humilité, à bras-le-corps, la répartition du travail pour la
reconstruction.
[…]
L’autEUR
Julien Guyomard
Auteur et metteur en scène diplômé du conservatoire du 5e arrondissement de Paris, il a co-créé la compagnie Scena Nostra. Investi auprès des publics « empêchés », il développe son engagement sur le territoire en créant le projet « Immersion », festival de création in situ. En parallèle, il écrit et met en scène Naissance, Syndrome U, Brèves du futur. Entre 2017 et 2021, il est associé à la Comédie de Valence – CDN Drôme-Ardèche, à l’Avant Seine / Théâtre de Colombes, ainsi qu’au Festival théâtral du Val d’Oise. Sa pièce, Les Méritants, sera créée en septembre 2023 au Théâtre de la Tempête.
© Christel Laur
Entretien avec Julien Guyomard, par Michel Cochet
Est-ce que tu conçois ton geste d’écriture en même temps que le projet de plateau ?
J’ai toujours écrit pour monter mes pièces. Avant, c’était le dialogue qui finissait par me donner une histoire, aujourd’hui, je pars d’un axe théorique. Avec Syndrome U, ma pièce précédente, j’ai questionné la démocratie, comme possible dictature de la majorité, de la norme. Avec Les Méritants, je suis parti des inégalités et de la méritocratie. Cet axe central, j’essaie ensuite de le faire redescendre par l’écriture vers un plan plus ludique, lisible sur scène. Je ne pars pas de la vision d’un spectacle fini, c’est plutôt comment raconter un concept et le pousser pour qu’il soit illustratif en scène, la forme que prend le spectacle arrive assez tard.
Par quel biais as-tu abordé le théâtre ?
J’ai fait le conservatoire du 5e arrondissement à Paris. Mais en sortant de l’école, je n’avais plus trop envie de jouer… c’était bizarre, j’avais plutôt envie de faire jouer des amis, de les fédérer autour d’histoires à raconter et de créer du collectif. Et par ailleurs je ne trouvais pas de texte, ça ne répondait pas à ce que j’avais en tête. En fait, je ne me sentais pas légitime pour monter l’œuvre d’un autre, je n’avais pas le bagage littéraire donc je me suis mis à écrire un peu par défaut… J’ai eu les encouragements d’Artcena pour mon premier texte, Car ceci est mon vin. En 2013 j’ai écrit et créé Naissance… et c’est avec celui-là que les choses ont bougé. Il y avait une grosse distribution. Beaucoup de comédiens qui venaient d’horizons très différents. On s’est retrouvés autour du texte. Ça a été chaotique mais très joyeux, quelque chose s’est fondé à ce moment-là.
Comment s’est créée ta compagnie Scena Nostra ? Comment fonctionnez-vous ?
À notre sortie de l’école, nous avons créé, avec Élodie Vom Hofe, la compagnie Scena Nostra que nous codirigeons. Depuis, nous recomposons des équipes à chaque projet et sommes assez fidèles. On est ainsi entourés d’un petit groupe d’artistes avec lesquels nous travaillons régulièrement comme Damien Houssier qui a joué dans Naissance, dans Syndrome U et qui pour Les Méritants a pris part très tôt à la dramaturgie… Et plein d’autres qui sont de très belles rencontres. Et les techniciens aussi ! À la lumière et au son, la scénographie, la production, l’administration. Au risque de paraître sentimental, c’est une grande famille, avec qui je travaille sur les créations mais aussi sur les autres actions de la compagnie, notamment sur le territoire.
Comment écris-tu justement ? Tu vas directement au plateau ou tu écris seul en amont ?
J’ai besoin de périodes d’écriture seul, parce que je me suis rendu compte que les écritures collectives, ça ne marche qu’un temps. Mais cette phase préliminaire, je la partage de plus en plus tôt avec quelques comédiens qui deviennent dramaturges le temps de ces premiers échanges. Je doute beaucoup, je retravaille énormément. J’ai vraiment besoin d’échanges avec mon équipe pour avancer. J’aime que les gens s’emparent de la pièce, la secouent, l’interrogent. Qui est sur scène ? À qui on s’adresse ? Qu’est-ce qu’on raconte ? Est-ce qu’on est légitime pour raconter ce qu’on raconte ? Est-ce que nous, on se réinterroge sur notre propre position ? Quels sont les points aveugles de notre histoire ? Quels sont nos points aveugles à nous ?
[…]
Découvrez l’intégralité du cahier
JULIEN GUYOMARD
Extraits de Les Méritants, de Julien Guyomard
Entretien avec Julien Guyomard, par Michel Cochet
Entretien avec David Guilbaud, par Élodie Vom Hofe & Damien Houssier
Cement Eclipses, sculptures d’Isaac Cordal