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– Papa Cochon ! Un peu de bonne volonté, s’il vous plaît. J’en peux plus, moi. Vous avez
refusé la sophrologie, l’exercice de la chaise musicale, et maintenant le jeu de la baballe. Je
vous rappelle que vous vous êtes inscrit de votre plein gras à ce stage d’été en développement personnel : Accueillir, interagir et prendre soin.

Entre côtes – une série porcine, Théo Perrache

La Pièce

Extrait de la pièce

1. Papa Cochon / 2. Le Cochon de Lait

1.– Junior
2.– Oui, Papa Cochon ?
1.– C’est l’heure des devoirs
2.– Oh non !
1.– Pourquoi dans le conte, les trois petits cochons ont-ils peur du Loup ?
2.– C’est parce que le Loup souffle très fort et que les trois petits cochons ont peur d’attraper froid
1.– Pourquoi ?
2.– Parce que le souffle du Loup, c’est comme le vent : imprévisible
1.– Pourquoi ?
2.– Parce que le vent pollinise et façonne la forme des fleurs au hasard de ses humeurs
1.– Et les trois petits cochons, Junior. Pourquoi ne veulent-ils pas se laisser façonner par le vent ?
2.– Tu me le demandes, Papa Cochon ?
1.– Oui
2.– Parce que les trois petits cochons préfèrent rester à l’abri, planqués dans leur maison de briques
1.– Mais pourquoi ?
2.– Mais je sais pas, moi !
1.– Mais j’ai encore plein de questions !
Pourquoi on a la queue en tire-bouchon ?
2.– Je sais pas !
1.– Et c’est quoi le secret de la vie ?
2.– Je sais pas !
1.– Mais pourquoi ?
2.– Ça suffit maintenant, Papa Cochon. C’est l’heure de mettre la viande dans le torchon
1.– Pourquoi ?
2.– Parce qu’il faut dormir
1.– Mais pourquoi ?
2.– Parce que tu es fatigué
1.– Oui, je suis fatigué
2.– Et pourquoi tu es fatigué, Papa Cochon ?
1.– Parce que je m’épuise à force de ne rien comprendre aux trois petits cochons
2.– Pourquoi ?
1.– Parce que je ne comprends pas pourquoi les trois petits cochons ont peur du vent
2.– Pourquoi, Papa Cochon?
1.– Parce que je ne comprends pas pourquoi les trois petits cochons ont peur du Loup
2.– Pourquoi les trois petits cochons ont-ils peur du Loup ?
1.– Tu me le demandes, Junior ?
2.– Oui

[…]

L’auteur

Théo Perrache

Auteur de théâtre et de poésie, Théo Perrache s’est d’abord formé en tant que comédien au GEIQ Théâtre compagnonnage à Lyon. Dans son écriture, il s’intéresse aux liens entre les contes et la pop culture, aux masculinités et à l’adolescence. Il cherche la magie dans le réel afin de réveiller les créatures d’aujourd’hui. Il défend une écriture de la bêtise et de la lutte : sensible, acide et tempétueuse. Son travail est repéré par divers comités : le Théâtre de la Tête Noire, la Comédie de Caen, Texte En Cours, À mots découverts et Collisions.

© Pierre Boggio


Entretien avec Théo Perrache, par Sylvère Santin

Parle-moi de toi ? Qui es-tu, qu’est-ce qui t’anime, te révolte, à quoi tu rêves ?
J’ai 30 ans. Je viens de Lyon. Je suis comédien et auteur de théâtre et de poésie. J’ai étudié au conservatoire de Saint-Étienne
puis au GEIQ Théâtre Compagnonnage à Lyon. J’ai cru pendant très longtemps à la petite souris, aux fées, aux sirènes… Certaines couleurs me font pleurer. Je suis très attaché aux contes et légendes de mon enfance et à ma culture pop. J’ai encore dans le ventre la chanson du premier baiser du premier garçon dont je suis tombé amoureux. Dans mon travail comme dans ma vie, je dirais que je suis animé par le merveilleux. J’aime l’idée de croire. C’est mon moteur créatif. Ça m’empêche d’être triste et chiant.

Comment l’écriture est-elle venue à toi ?
J’ai commencé à écrire en parallèle de ma formation de comédien. À l’époque déjà, je travaillais autour des créatures contemporaines en mettant en dialogue le réel et les figures de contes. J’ai notamment exploré des formes hybrides entre le théâtre et le cabaret. Ça m’a donné le goût des formes décalées, au croisement des registres. Mon premier texte Marraines – un conte de plastique est né plus tard lors d’un laboratoire de recherche. Ce texte est une fiction qui croise les figures de fées de contes avec la figure de Britney Spears. Mélanger les genres me permet de chercher la magie dans le réel et de réveiller les créatures d’aujourd’hui. Notre réel est peuplé de figures magiques. L’hybridation agit dans mon écriture comme un grossisseur de vie, un exhausteur de vérité. C’est ma manière de décaler le réel, pour me le réapproprier. Dans mes pièces, les pop stars sont des fées, les hommes cis sont des petits cochons parlants et les adolescentes sont des chasseuses de zombies.

De quoi as-tu besoin pour écrire ? Quelle est ta nécessité de prendre la parole ?
Ce dont j’ai besoin, c’est de ma capacité à m’émerveiller avec la joie de mon enfance et à rire avec la rage de mon adolescence. Je veux m’exprimer pour les corps. Que les mots tendres ou les hurlements qui auraient dû sortir sortent.
Pour écrire, j’ai besoin de devenir expert dans les imaginaires que j’investis. J’ai besoin de les laisser infuser dans mon intimité afin de rendre poreuse la frontière entre la réalité et la fiction dans mes textes.

Parle-nous d’Entre côtes – une série porcine, d’où ça t’est venu ?
Entre côtes, c’est une série porcine en deux saisons où l’on suit les aventures bouffonnes de deux petits cochons qui cherchent à percer le secret de la vie. Tétanisé par la peur du Loup, ce duo se transforme au gré des épisodes en jouant tous les personnages de leur propre histoire. Ces cochons nous invitent à comprendre pourquoi les émotions se cognent si fort entre elles dans les cœurs des garçons. D’où le titre qui fait autant allusion à ce qu’il y a entre les côtes – le cœur – qu’à la pièce de viande grillée au barbecue « entre potes ». Chaque épisode est associé à une clef, une étape supplémentaire dans la compréhension d’eux-mêmes.
Plus jeune, je trouvais les garçons fascinants. Ils étaient tout tristes quand ils perdaient un match. Alors ils se consolaient dans les vestiaires en se touchant le zizi tout en se traitant de tafioles. Plus tard, j’ai participé à un laboratoire autour des Trois Petits Cochons et de la notion d’habitat. J’ai fait le lien entre les maisons des trois petits cochons et la masculinité : la maison de briques comme construction solide pour se protéger de l’extérieur, du vent, du loup. Le motif du cochon s’est présenté comme une clef dramaturgique évidente pour pointer, dans mon histoire personnelle, les ravages de la masculinité. Je me suis alors plongé dans mes imaginaires masculins : la charcuterie, le foot, les souvenirs de colonies de vacances.

[…]


This is nude, huile et acryliques d’Aleksandar Đurić
This is nude, huile et acryliques d’Aleksandar Đurić

Découvrez l’intégralité du cahier
THÉO PERRACHE

Extraits de Entre côtes — une série porcine, de Théo Perrache
Entretien avec Théo Perrache, par Sylvère Santin
This is nude, huile et acryliques d’Aleksandar Đurić
Rester Porcinet ou devenir porc. La peur du loup en soi, par Philippe Liotard