
Un point plus petit qu’une tête d’épingle.
L’inconstance du Cosmos, Marie Lacroix
Imperceptible.
Un point qui n’arrête pas de se condenser,
Qui contient toute la densité de l’Univers
Et toutes les forces physiques connues à l’infini.
La Pièce
Extrait de la pièce
Premier chapeau. – Donc reprenons,
Au commencement il n’y avait rien.
Rien d’autre que le vide.
Rien d’autre que le silence.
Rien.
Et puis un point dans le rien.
Un point plus petit qu’une tête d’épingle.
Imperceptible.
Un point qui n’arrête pas de se condenser,
Qui contient toute la densité de l’Univers
Et toutes les forces physiques connues à l’infini.
Si bien que ce point,
Plus petit qu’une tête d’épingle,
Finit par exploser du trop-plein d’infini.
Et du néant,
Jaillit le tout.
Immense.
Le tout en constante expansion
Qui parfois se rétracte pour mieux s’étirer,
Comme un coeur qui palpite.
Et de cette inflation naissent :
Les particules élémentaires
Les noyaux
Les atomes
Et la gravitation.
Et les nuages de gaz s’effondrent sous leur propre poids
Pour donner naissance à tant
Et tant,
Et tant,
D’étoiles
Qu’il est devenu indécent de dire qu’elles sont innombrables.
Et de la collision de ces étoiles apparaissent
Des trous noirs
Des comètes
Des planètes
Et par extension
Des arbres
Des bêtes
Des hommes
Et tout le vivant connu en somme.
Tout le vivant recouvert par le ciel
Une infinité de soleils
Juste au-dessus de nos têtes.
Une fête enflammée
Qui nous a toutes et tous enfantés.
Deuxième chapeau. – J’étais aux toilettes.
Premier chapeau. – Ouais.
Deuxième chapeau. – Et je me regardais dans le miroir.
Premier chapeau. – Ouais.
Deuxième chapeau. – Et j’avais beau me regarder je me reconnaissais pas.
Premier chapeau. – Ah ouais.
Deuxième chapeau. – Je m’imaginais pas du tout comme ça.
Premier chapeau. – Comment ça ?
Deuxième chapeau. – Dans la vie, je m’imaginais pas du tout avec ce visage-là.
Premier chapeau. – Tu t’imaginais comment ?
Deuxième chapeau. – Je sais pas. Pas comme ça. Plus… triste.
Premier chapeau. – Triste ?
Deuxième chapeau. – Oui, plus… préoccupé.
Premier chapeau. – Ah.
Deuxième chapeau. – Avec des yeux un peu plus tombants.
Premier chapeau. – Tu as les yeux tombants.
Deuxième chapeau. – Oui mais plus. Et des cernes creusés sous les yeux.
Premier chapeau. – Tu as des cernes creusés sous les yeux.
Deuxième chapeau. – Mais tu me reconnais toi ?
Premier chapeau. – Ben… oui.
Deuxième chapeau. – J’ai pas changé ?
Premier chapeau. – Non.
[…]
L’auTRICE

Marie Lacroix
Marie Lacroix est diplômée du master d’écriture de l’INSAS (Bruxelles), après avoir fait une classe préparatoire littéraire à Paris et des études théâtrales à la Sorbonne-Nouvelle. Elle écrit aussi bien pour le théâtre que pour le cinéma et s’essaie à plusieurs métiers du théâtre (dramaturge, assistante à la mise en scène). Elle est lauréate du festival de l’Université de Nancy en février 2024 avec son texte Planqués et co-lauréate du festival Lis-Moi Tout avec son texte L’Inconstance du Cosmos en avril 2024.
© Arnaud Banier
Entretien avec Marie Lacroix, par Veronika Mabardi
Tu vis à Bruxelles depuis trois ans. Pourquoi ce choix de t’installer dans cette ville et d’y rester ?
Avant d’être admise à l’INSAS 1 de Bruxelles, je vis à Paris, où j’ai fini mon master en études théâtrales à la Sorbonne-Nouvelle
en 2019. J’écris des pièces, notamment Grésillements pour une création dans le cadre du festival étudiant F.R.A.P au Théâtre
Paris-Villette. L’été 2021, je suis dramaturge sur Paris-Mélian, le spectacle de fin d’études de Jeanne Kleinman, à la Manufacture de Lausanne. Je suis aussi très active dans l’association L’Escamoteur 2 où je publie sur le site des critiques sur des pièces de théâtre, participe aux appels à projets et à l’organisation des événements . Mais le Covid passe par là et j’ai l’impression d’avoir « fait mon temps » à Paris : j’ai faim de nouvelles aventures, de rencontres, de changements !
J’arrive donc à Bruxelles en septembre 2021 pour faire le master d’écriture à l’INSAS. Bruxelles, c’est tout un paquet de rencontres, un ticket dans une école de théâtre prestigieuse, une spécialisation dans l’écriture, la découverte de l’écriture scénaristique, et une entrée dans le monde artistique belge. C’est une nouvelle ville, ça permet de faire peau neuve. Bruxelles agit sur moi comme un antidote au cynisme : ce que j’écris tire désormais plus vers la comédie.
Après mon master, je décide de rester vivre ici, pour toutes ces raisons et aussi parce que je me sens inscrite dans le territoire
artistique bruxellois, grâce à l’école mais aussi parce que les artistes et les théâtres paraissent plus accessibles, plus « humains »,
là où à Paris tout semble bouché, où se frayer un chemin paraît plus difficile et plus douloureux. Ici, j’ai également une communauté d’ami·es artistes avec qui échanger, écrire. Je suis constamment stimulée.
L’Inconstance du Cosmos a été écrite à l’INSAS, mais est très vite sortie du cadre de l’école. Comment ça s’est passé ?
Tout va assez vite pour L’Inconstance du Cosmos. C’est ma pièce de fin d’études, je la mets en lecture lors de l’OUTSAS 3 en juin 2023 avec sept acteur·ices, on a une semaine pour le faire. Ça marche bien, j’ai beaucoup de retours positifs. C’est incroyablement gratifiant d’entendre les spectateur·ices rire tous les soirs. En octobre 2024, je l’envoie à La Liseuse 4 pour le concours du festival Lis-Moi Tout 5. La pièce est sélectionnée pour le concours et, en avril, elle est mise en lecture par Justine Lequette au Rideau avec sept comédien·nes. C’est réjouissant de voir les personnages du texte porter d’autres intentions,
d’autres visages que ceux auxquels j’avais pensé.
Qu’est-ce qui t’allume, te déclenche, te met en mouvement, en écriture ?
J’écris tout le temps, de petites choses : ce que j’entends dans une conversation, une forme que j’aimerais explorer, une phrase,
quelques mots, presque rien en fait, des idées, toutes petites, ce qui surgit du quotidien et qui paraît dire quelque chose de vrai,
de nouveau. J’écris ce que j’observe des gens, des rapports entre les gens en fait. J’écris les différentes réactions qu’ont les gens les uns envers les autres, les hésitations, les temps suspendus, les lapsus, les mots mal choisis, les attitudes. Et les blagues, tout ce qui me fait rire, surtout ce qui ne devrait pas être drôle mais qui l’est, immensément. Ça, ce sont les meilleurs trésors. Ces notes constituent un terreau qui m’habite, reste avec moi et tourne dans ma tête.
À force d’avoir ressassé, remâché, relu, je réfléchis au tout qui pourrait émerger, je vois des personnages, des situations, et
j’écris des bouts de dialogues. Ça se façonne comme ça, au fur et à mesure, et une fois que le temps a trop passé, l’urgence d’écrire se fait de plus en plus pressante.
Parfois il faut tout jeter et recommencer, parfois ça reste jusqu’à la fin, mais souvent la première impulsion déclenche le départ de quelque chose et c’est parti pour plusieurs mois. Bon, pendant ces quelques mois, il arrive que l’envie retombe comme un soufflé, et il me faut retourner à d’autres choses pour mieux y revenir. C’est ce premier moment qui est difficile à déclencher, et qu’il faut saisir à la volée, ensuite ça se déplie tranquillement, par allers-retours.
[…]


Découvrez l’intégralité du cahier
MARIE LACROIX
Extraits de L’Inconstance du Cosmos, de Marie Lacroix
Entretien avec Marie Lacroix, par Veronika Mabardi
Resonance Paintings, pigments sur toile d’Oliver Beer
En cherchant autre chose, entretien avec Gwenhaël Wilberts Dewasseige, par Marie Lacroix